"Les clients américains ont déserté, l'année prochaine sera désastreuse"

Réunis à Buenos Aires en marge du G20, Xi Jinping et Donald Trump ont décrété une trêve commerciale pour au moins 90 jours. Mais un accord à long terme est peu probable. Washington veut affaiblir Pékin, et les PME chinoises sentent déjà le vent du boulet.

by L'Echo

Réunis à Buenos Aires en marge du G20, Xi Jinping et Donald Trump ont décrété une trêve commerciale pour au moins 90 jours. Mais un accord à long terme est peu probable. Washington veut affaiblir Pékin, et les PME chinoises sentent déjà le vent du boulet.

               

En Chine, on ne fête pas Noël mais on le fabrique. 85% des décorations de Noël et 90% des jouets sont fabriqués en Chine et exportés. Dans les allées du plus grand marché de gros de la planète, dans la ville de Yiwu, au sud de Shanghai, les 200 kilomètres de couloirs ne font pas le plein cette année. "Nous avons déjà perdu 30 à 40% de notre chiffre d’affaires, raconte cette vendeuse de trottinettes électriques. Les clients américains ont déserté. L’année prochaine sera désastreuse."

           

           

                   

Plus de 70.000 boutiques sont concentrées ici, allant du textile aux jouets, en passant par les produits électriques et électroniques. Un bazar du "Made in China" qui est un peu le thermomètre de l’usine du monde. Autour de la ville, une myriade de petits ateliers fabriquent et assemblent à la main des pochettes de Noël, des chaussettes floquées ou encore des sapins en plastique. Cette année, dans l’atelier de madame Yao, les machines tournent à plein régime, mais sur les cartons empilés qui prendront la mer dans quelques jours, on ne voit pas d’adresse américaine. "Cette année, nous vendons surtout en Russie, explique-t-elle. En Europe, un peu, mais aux États-Unis, rien."

               

La croissance économique chinoise est passée pour la première fois depuis la crise de 2008 sous la barre des 6,5%. En 2019, on devrait frôler les 6%, du jamais vu depuis l’ouverture économique de la Chine dans les années 80 et conséquence directe de la guerre commerciale avec les Etats-Unis. "Même si un accord est trouvé au G20 de Buenos Aires, cette guerre va continuer", prédit l’économiste Ding Shuang. Car l’objectif de Washington est d’affaiblir son grand rival chinois.


                   

Depuis juillet, de nouveaux tarifs douaniers américains de 25% affectent 818 produits chinois (automobiles, composants aéronautiques et informatiques). Ils s’ajoutent aux taxes sur l’acier et l’aluminium. Pour rééquilibrer la balance commerciale, contraindre la Chine à ouvrir davantage son marché et respecter la propriété intellectuelle, Donald Trump menace maintenant d’une taxe supplémentaire l’ensemble des produits chinois dès le début 2019 et les acheteurs ont déjà anticipé la mauvaise nouvelle.

               

"Nous savions que l’économie chinoise était trop dépendante des exportations, explique Fran Wang, journaliste spécialisée au sein de Caixin financial Group. Cela ne pouvait pas continuer éternellement. Il faut donner plus de poids à la consommation intérieure pour compenser. C’est ce que veut faire le gouvernement."

               

Conflits sociaux

               

Comme chaque année, les chiffres des promotions du 11/11 devaient donner la température. La fête des célibataires, l’équivalent du "Black Friday" en Chine, a permis de rassurer (un peu) les commerçants et l’État. Les ventes ont battu cette année sur Internet des records: 27 milliards d’euros en 24 heures. Seulement, selon le cabinet Azoya, 10% des achats concernent des produits étrangers. Un pourcentage qui grimpe à 40% pour la génération "Y", celle des 20-30 ans. Ce sont eux qui porteront l’économie chinoise dans quelques années et, pour l’instant, ils ne consomment pas assez de produits nationaux.

               

Les conséquences sur l’économie se font déjà sentir.   

                   

L’ONG "China Labour Bulletin" a relevé 1.444 manifestations et conflits sociaux depuis début 2018 dans les entreprises chinoises. Selon CLB, deux millions d’ouvriers ont perdu leur emploi en 2018 en conséquence de fermetures d’usines liées au ralentissement de l’économie. Pour l’instant, le taux de chômage reste stable entre 4,8 et 5,1% dans les grandes villes de l’Est, mais selon certaines projections, la guerre commerciale risque de coûter à la Chine 2 et 3 millions d’emplois supplémentaires en 2019.

               

Pékin a donc lancé une offensive en plusieurs actes: d’abord mettre les problèmes sous le tapis pour qu’ils ne dégénèrent pas en grogne nationale.

               

La République populaire est ainsi paradoxalement le seul pays qui n’en fait pas ses gros titres. Le sujet est même régulièrement censuré sur les réseaux sociaux. Le Parti ayant construit sa légitimité sur la croissance économique, pas question de la remettre en question.

           





Autres mesures: baisser les impôts sur les bas revenus pour soutenir le pouvoir d’achat et alléger le fardeau fiscal des PME du secteur privé qui représentent 97% des entreprises chinoises, 60% du PNB et 80% de l’emploi en zone urbaine.

               

Mais la stratégie d’ensemble n’est pas complètement tranchée. Actuellement, le débat oppose les partisans d’une injection massive de liquidités comme en 2008 et ceux qui appellent à libéraliser l’économie.

               

Hang Weiying et Sheng Hong, deux célèbres économistes libéraux, remettent même en cause le modèle chinois qui, selon eux, n’a rien de différent du modèle capitaliste occidental. Penser qu’un secteur public puissant et un modèle économique autoritaire pourront sortir la Chine de l’ornière est selon eux une erreur. La montée en puissance de l’État chinois est la vraie raison des velléités américaines. Cependant, l’État refuse ce débat d’idées: invité à donner une conférence à Harvard, Sheng Hong a été bloqué à l’aéroport de Pékin pour raison de "sécurité nationale".